• Exploration de Calliope

    PIECE 1 : LA PIECE DE PRESENTATION DES NOUVEAUX EXPLORATEURS
    Le coeur battant, je pousse la porte en bois vermoulu qui marque l’entrée du château des cent-mille pièces. Le trajet jusqu’ici a été ardu, mais je sais qu’il ne s’agit que d’un gueuleton par rapport à ce qui m’attend ici.

    La salle dans laquelle je pénètre est de dimensions modestes, mais elle paraissait bien plus grande, du fait qu’elle était tapissée d’écrans qui -je frissonnai- diffusaient tous les aventures des explorateurs qui sévissaient en ces lieux. Beaucoup semblaient en mauvaise posture. N’y pense pas, me morigénai-je.
    Je lançai un sonore « Bonjour ! » à la cantonade, histoire de me manifester. Au coin de la pièce, une toute petite femme -aux immenses lunettes blanches qui lui mangeaient le portrait, avec une chemise au col immense, imprimée d’immondes bouquets de fleurs oranges, et vêtue d’une minijupe tout aussi orange que ses fleurs, assise à un bureau rouge en formica- émit un disgracieux « Ici ! Tout de suite ! ».
    Je m’approchai. Je parcourus d’un oeil rapide le badge de la femme, qui indiquait : Mlle Rose, secrétaire. Cette dernière, toujours aussi encline à la politesse, déclara :
    » Votre nom !
    – Calliope.
    – Age !
    – Deux millénaires.
    – Statut !
    – Muse de la poésie épique.
    – Parfait. Vos êtes admise comme aventurière sous le numéro 108. Passez à côté. Nous allons vous procurer une tenue plus approprié à votre rang. »
    Je baissais les yeux vers mon short déchiré et mon t-shirt crasseux. En effet, tout cela était peu digne de mon rang. J’espérai juste que ma nouvelle tenue serait confortable et pratique.
    Je passais à côté, comme l’avait indiqué Mlle Rose. Sur un cintre pendait un péplos grec immaculé, accompagné d’une couronne d’or fin, de spartiates de cuir brut, et, à mon grand contentement, un poignard effilé, à la garde incrusté d’opales et gravé du nom : Calliope. Je revêtis la robe, en songeant que ce n’était pas le vêtement le plus adapté pour une exploratrice en quête d’aventures. Mais je me tus.
    En me voyant, la secrétaire s’exclama : « Enfin ! Vous êtes présentable ! » Je m’efforçai de sourire. Elle ajouta : « Veuillez prendre place dans l’ascenseur à votre gauche. »
    Je me dirigeai vers la cage d’ascenseur. Mlle Rose déclara encore : « Miss Calliope, je vous parachute au niveau neuf. Comme les Muses. Et je vous souhaite bien de la chance. Vous en aurez besoin, à cet étage qui n’est pas des plus reposants… »
    Lorsque les portes se refermèrent sur moi, mon appréhension s’accrut encore.

    PIECE 2 : LA PIECE AQUEUSE
    – C’est magnifique…
    C’est idiot, mais j’ai toujours tendance à me parler à voix haute, ce qui m’a toujours valu des regards réprobateurs. Enfin.
    La pièce dans laquelle je me trouve n’a rien à voir avec tout ce que j’ai pu imaginer quand cette alarmiste de Mlle Rose -la secrétaire de la salle d’accueil des nouveaux explorateurs, pour ceux qui n’auraient pas suivi mes maigres tribulations (honte à eux !)- m’a évoqué l’étage 9. Plutôt vaste, elle est faiblement éclairée par d’étroites fenêtres en demi-lune. Au milieu, un bassin de marbre blanc -immaculé comme le sol- creusé à même la pierre. L’eau l’emplissant est d’une cristalline pureté, et elle laisse entrevoir de fins rayons lumineux qui semblent prendre source au fond même du bassin. Je me penche, étonnée. De la lumière provenant du fond d’un bassin -aux dimensions de piscine, soit dit en passant ? Voilà qui n’est pas commun, même dans le Château des Cent-Mille Pièces.
    La seule image que me renvoie la surface de l’onde est celle d’une jeune fille amaigrie, fatiguée, pourvue de longs cheveux bruns, d’yeux noisette au dessin légèrement oriental, surplombés de sourcils au tracé sévère, de pommettes hautes et osseuses, d’un teint blafard troublé par les légères tâches rouges de bénignes écorchures et de lèvres joliment ourlées. En d’autres termes : moi. Rien d’inquiétant en somme.
    Pourtant, la sensation d’un danger, soufflé par mon intuition, me serre la gorge. L’impression d’être observée me liquéfie net. Je m’accroupis au sol et plonge ma main dans l’eau pour me rafraîchir le visage.
    Fatale erreur.
    Si à première vue -ou à premier toucher dans mon cas- l’eau n’a rien de bien méchant, mais dès que j’en sors la main, la petite quantité liquide qui reste dans ma main semble se solidifier. Non. Pas se solidifier. Prendre vie.
    Remarquons que ma foutue intuition n’a pas jugé utile de me signaler que c’était l’eau elle-même que me procurais ce frisson d’appréhension.
    Ce que j’ai dans la main n’est plus vraiment de l’eau. C’est chaud, je sens la matière pulser entre mes doigts. Ça ressemble -au toucher toujours, je n’ose pas regarder- à un petit animal. En moins sympathique, je le comprends lorsque la consistance devient plus vivante encore et décide d’emprisonner dans sa poigne mes pauvres doigts.
    – Fiche-moi la paix, machin…
    Je baisse enfin les yeux et ne peut réprimer un cri d’horreur. Ce qui m’agrippe ainsi…
    C’est une main. Bon, ok, une main d’eau, ce n’est pas forcément effrayant de prime abord -pour les plus hardis tout du moins. Mais hardi, je ne le suis point, et je vous jure que si vous aviez une main comme celle-ci solidement arrimée à la vôtre, vous ne feriez pas mieux que moi.
    Vous hurleriez.
    Et je hurle même très fort. Cela ne semble pas déranger la main liquide qui continue de broyer consciencieusement la mienne, de main. Mais je n’ai pas encore vu le pire.
    Un visage aqueux affleure à la surface. Un drôle de visage, comme assemblé par quelqu’un qui n’a qu’une très vague (sans mauvais jeu de mots, ce n’est pas mon genre, surtout dans les moments critiques comme celui-là) idée de la physionomie humaine. Pas laid, non, mais aucun des éléments ne semblent appartenir à la même personne. Comme si on avait pioché chaque partie du faciès chez un individu différent.
    La bouche, minuscule, typiquement féminine. Le nez, long outre mesure. Les yeux froids, immenses, masculins. Le visage allongé et taillé à la serpe. Les écailles couvrant le front disparaissant sous la masse épaisse d’une chevelure aux légères ondulations modulant l’ensemble.
    Et tout cela, ça reste de l’eau, re-précisons-le.
    Cette silhouette asexuée dégage son buste de l’eau, faisant doubler le volume de mon braillement effaré. Sois cette… Créature est sourde, soit elle est la bestiole la plus résistante de la création, parce mon cri est tellement insupportable qu’il ferait rendre les armes au plus courageux des aventuriers du Château. Et je parie la couronne dorée dont m’a affublé cette secrétaire de Rose que les explorateurs des pièces contigües à celle où je me trouve à cet instant précis sont en train de se boucher les oreilles pour ne plus entendre ma crise d’hystérie en direct et de conjurer le ciel de les foudroyer sur place si cela peut leur permettre de ne plus m’entendre.
    La Créature Aqueuse décide soudain de passer à la vitesse supérieure. Son ersatz de main se noue plus solidement encore autour de la mienne et tire. Pour me faire tomber dans l’eau, je subodore.
    Stop ! Je n’ai pas le temps de subodorer. J’ai d’autres chats à fouetter.
    Je ne suis pas docteur ès self-défense mais je me débrouille. Pas dans les règles de l’art, certes (en supposant que démolir le portrait d’un adversaire, même en cas de légitime défense, sois un art), mais je me débrouille. C’est-à-dire que j’ai réussi à parvenir à mes deux mille ans et des poussières (facile quand on est comme moi une divinité antique, même mineure) sans trop de points de suture (pour être franche, je n’ai pas beaucoup de mérite sur mon absence de point de suture, étant donné qu’ils n’ont été inventé que très récemment et qu’en cas de blessure, l’hôpital n’a jamais été ma priorité).
    Bref.
    Je me projette en arrière en prenant appuis sur le léger renflement du sol au niveau du bord de bassin. La Créature Non Déterminée me lâche dans un feulement -Victoire !-, mais emportée par mon élan, je me prends lamentablement le mur.
    Je vais devoir revoir ma copie sur les points de suture. La surface de ce mur est plutôt très rugueuse, et je crois deviner à la flaque rouge qui s’étale sur le sol que le picotement que je ressens à la cuisse est du genre mauvais signe.
    Sous mon corps meurtri, la flaque de sang se dilue dans de l’eau. De l’eau ? Très mauvais signe aussi. La Créature Aqueuse, sous sa forme liquide, a rampé jusqu’à moi. Je ne sais pas ce qu’elle me veut, mais elle a l’air du genre tenace.
    Ça tombe bien : moi aussi. Même blessée.
    Elle reprend forme humaine -ou du moins ce qui s’y apparente. Je me relève (douloureusement) et me mets en position de combat, ce qui est aussi passablement ridicule que diablement efficace. Normalement.
    Problème : cela ne se passe pas normalement (avec ma malchance qui ne tardera pas à devenir légendaire, il fallait s’y attendre).
    La Créature a choisi une tactique bien moins subtile -hum- que la mienne. Si je privilégiais un affrontement loyal dans une ambiance de franche camaraderie -re-hum-, elle a préféré y aller moins en finesse.
    Pour résumer, elle m’a foncé dessus et envoyé valdinguer dans le bassin. Et ça fait mal. Surtout que l’eau se met à peser sur mon corps de façon insoutenable, la poitrine d’abord, puis le visage. L’air me manque. Un mouvement convulsif m’agite, je me cambre dans l’eau, malgré la lourde chape qui pèse sur moi.
    Alors ça y est, je vais mourir ?
    Douleur.
    Douleur.
    Douleur.
    Douleur.
    Douleur.
    Douleur.
    Douleur.
    Douleur.
    Douleur.
    Douleur.
    Douleur.
    Douleur.
    Douleur.
    Douleur.
    Douleur.
    Apaisement.
    Je recrache un jet d’eau mêlé de bile. L’eau s’est retirée d’un coup, s’évanouissant dans la stratosphère. Pas comme si ça m’arrangeait pas, mais j’aimerais comprendre.
    Je me relève en titubant. Est-ce qu’un jour, je saurais pourquoi l’eau s’est évaporée et pourquoi la Créature Aqueuse s’est attaquée à moi ?
    Surement que non. Nous sommes dans le Château des Cent-Mille pièces, tout est par définition possible et rien n’est explicable.
    En franchissant le seuil de la porte qui se trouve au fond de la salle aqueuse, je n’imagine pas les tourments dans lesquels je me précipite…

    PIECE 3 : LA PIECE QUI DESCENDAIT JUSQUE DANS LES PLUS OBSCURES PROFONDEURS DU CHATEAU 
    Les tourments dans lesquels je me précipite… Au sens propre, évidemment, ç’aurait été moins marrant sinon.
    Dès que j’ai posé mon pied dans cette pièce, je me suis sentie dégringoler. J’ai bien essayé de me retenir au chambranle de la porte, mais elle a disparu. Pouf ! En une seconde. Ce qui ne m’arrange pas.
    Du coup, pour changer, je me suis râpée contre le mur. Violemment. Mon péplos est largement déchiré (ce qui le rend encore moins pratique qu’avant).
    Vous allez halluciner, mais je ne hurle pas. Plus la force.
    Mais je n’en souffre pas moins. La douleur afflue dans tous mes membres et je tombe toujours.
    Où que je regarde -à part à ma gauche, où je ne vois que le mur qui est en train de m’écorcher vif- il n’y a que du vide. En haut, à droite, et surtout en bas. « Surtout », parce que je n’en aperçois même pas le bout, de ce vide. Je pourrais bien tomber à l’infini que je ne le saurais pas. Et le Château a beau se situer sur le Premier Plus Haut Point Du Monde, cette pièce est en train de me faire -très, très, très rudement- retomber sur le plancher des vaches.
    Problème : je n’en ai aucune envie.
    Je peux sembler très calme à première vue, mais c’est totalement faux. Intérieurement, il y a un certain bouillonnement de terreur pur qui me liquéfie les membres.
    – Pitié… Je veux m’en sortir !
    N’importe quel explorateur normalement constitué serait déjà mort, tué par la violence de la chute. Mais je ne suis pas n’importe quelle exploratrice -et pas non plus une narcissique en puissance, je vous vois arriver avec votre regard ironique.
    Je suis Calliope.
    Je suis immortelle. Presque immortelle.
    Explication.
    Si vous ne considérez pas le fait d’avoir deux mille ans et des poussières comme un gage d’immortalité -pointilleux, va !-, sachez qu’outre être une déesse antique -toujours pas convaincu ? Difficile, le public !-, je me suis déjà pris une épée dans le ventre -j’avoue que je n’avais pas été très maligne sur ce coup là-, sans en garder aucun dommage autre qu’une cicatrice -personne n’est parfait-. Ça impressionne, hein ? Non ?
    Mais pas de place pour la distraction.
    Car je viens de me prendre le sol.
    Fort.
    Trop fort.
    L’impact me vide les poumons et me brise en mille morceaux (façons de parler, bien sûr, je ne dois être dispersée qu’un une quarantaine de tronçons).
    Je suis Calliope.
    Immortelle. Presque immortelle.
    Important, le « Presque ».
    Car là, je crois que je suis morte.
    Je m’évanouis.

    Je suis Calliope.
    Immortelle. Presque Immortelle.
    Et ce n’est pas aujourd’hui que je mourrai.
    Je me suis relevé et je sonde mon corps meurtri. La quarantaine de morceaux semble s’être magiquement ressoudée. Ce n’est pas normal. Je ne vais pas me plaindre, mais… Rien n’est normal et ça ne me plait pas. Tout se passe comme dans la pièce aqueuse et je ne comprends pas.
    Comme si quelqu’un m’aidait. Comme si quelqu’un refusait que je meure. Je ne veux pas qu’on m’aide. Je suis capable de m’en sortir seule, bon sang ! Enfin… Vous voyez ce que je veux dire.

    PIECE 4 : L’ASCENSEUR -OU COMMENT PASSER DU PLUS PROFOND DES SOUS-SOLS A L’ETAGE 927-
    Tout au fond de la pièce où j’avais bien cru mourir il y a quelques minutes, il y avait, outre un bout de tissu auparavant blanc que j’avais arraché à ce fichu péplos et une ridicule couronne dorée, une porte. Et derrière cette porte, ben… Un ascenseur. Où je me trouve à cet instant.
    Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais mettre un ascenseur juste à côté d’une pièce hyper-profonde, je trouve ça inutile. Du genre : Ah, vous avez survécu ? Eh bien on va vous faire remonter alors.
    Une sorte d’épreuve éliminatoire.
    J’observe attentivement les boutons de l’ascenseur. Il y en a des dizaines. Des dizaines de milliers peut-être. Je ne vais pas m’amuser à les compter.
    Au hasard, j’appuis sur le bouton le plus bas : -608.
    L’ascenseur ne bouge pas. Une voix robotisée déclare : « Vous êtes déjà à cet étage. »
    Première nouvelle. Je fais rapidement le calcul dans ma tête. J’étais à l’étage 9. Je suis au -608. Voyons… 9+608… Je viens de survivre à une chute de 617 étages.
    Ce qui n’est pas rien.
    Dans un esprit de contradiction absolu, je presse le bouton le plus élevé : 927.
    La cage d’ascenseur s’ébranle lentement.

    PIECE 5 : LA PIECE FLOTTANTE
    Avant de pénétrer dans la pièce où me déposait l’ascenseur, j’hasardais un pied timide sur le sol. Histoire de voir si ça tenait, pour ne pas retomber de je-ne-sais-pas-combien d’étages comme la dernière fois. Prudence est mère de Sureté -et la plus grande prudence aurait été de ne pas pénétrer dans ce Château de fou, n’est-ce pas Calliope ?-.
    – Waw !
    Se peut-il que je me sois trompée ? A nouveau, il n’y a que le vide sous moi. Méfiante, j’effleure le parquet.
    – Du verre ! C’est du verre !
    Alors là, c’est le pompon. Je regarde en dessous de moi et manque pousser à nouveau une de mes légendaires exclamations : cette pièce est en train de flotter au-dessus du Cathedrhall ! Je le vois qui s’étale sous mes pieds.
    – C’est dément…
    Bon. Passé l’instant d’ébahissement. Où est la sortie ? Parce que je ne veux pas dire, mais à part des murs de verre, il n’y a pas grand-chose dans cette pièce. Je repère finalement la porte -en verre elle aussi, pour changer- -c’est fou ce que les architectes du Château manquent parfois d’originalité-.
    Avant de sortir, je jette un dernier regard au Cathedrhall dans lequel évoluent quelques explorateurs inconscient qui ne savent pas encore ce qui les attend ici

    PIECE 6 : LA PIECE BRUMEUSE
    Je toussais violemment en entrant. Dans cette nouvelle pièce régnait une sorte de brume épaisse qui pesait sur mon corps comme une chape de béton. Comme tout le monde, j’avais déjà entendu cette expression idiote de « brouillard à couper au couteau », mais je ne l’avais jamais prise au pied de la lettre (en parlant d’expression débile, en voilà une autre). Comme d’habitude, j’allais devoir réviser mon jugement.
    Je pris ma dague en main et me frayais à grand-peine un chemin. Je n’avais qu’un objectif : sortir au plus vite. J’avais déjà du mal à respirer ; la brume semblait vouloir s’infiltrer en moi. C’était une sensation assez étrange. Des filaments de brume dansaient devant mon visage.
    Je ne tenais plus. J’entrouvris les lèvres pour inspirer une grande goulée d’air.
    Ça ne se passa pas comme prévu.
    Les fragments de brume qui s’agitaient depuis tout à l’heure s’introduisirent violemment dans ma gorge. Je poussais un hurlement terrifié, toussais et tentais promptement d’expectorer le brouillard. Rien à faire. Je le sentais s’agiter en moi, prendre vie, circuler dans mon corps… Je me crispais sous l’impulsion de la brume, sentant une force nouvelle pulser dans mes veines.
    Une force qui ne m’appartenait pas.
    Je vis soudain une silhouette de brume aux yeux de feu se dessiner devant moi.
    – Qu’est-ce que… ?
    Tu n’en réchapperas pas.
    La voix avait clairement retenti dans mon esprit, me brûlant presque intérieurement par sa force et sa netteté.
    Je procure aux aventuriers force ou courage. Inconsciemment, tu as souhaité l’un de ces deux éléments. Et cela t’a conduit vers moi.
    Inconsciemment ou sciemment… Force et courage, moi qui ne possédais ni l’un ni l’autre… Je les avais toujours voulus, de toute évidence ! Mais plus encore la force, qui me faisait tant défaut.
    – Qui… êtes-vous ?
    Je ne suis qu’une funeste création du Château… Destinée à vous faire croire, à vous présomptueux explorateurs, que vous êtes invincibles.
    - Taisez-vous !
    Une détresse pure, je le crains, suintait de ma voix éraillée. En effet, je pressentais, je ne savais pourquoi, qu’une sinistre nouvelle allait suivre.
    Tu pressens bien, jeune inconsciente… Si dans un premier temps vous vous pensez plus puissants que tout autre, ma brume de l’intérieur vous possède, et finira par vous…
    - Tuez, finis-je désespérément.
    Pas exactement, petite déesse ! Pas exactement… Vous devenez petit à petit des créatures du Château lui-même, contrôlées par lui, destinées à semer la mort et la terreur. Tu en deviendras une, Calliope, comme tous les autres, toi aussi tu seras brisée.
    - Combien de temps durera cette… Transformation ?
    Je ne sais… Un mois, deux mois, un an, ou plus… Tout dépend de ta résistance, Calliope. Cela peut durer des années.
    - Est-ce irréversible ?
    Je me doutais de la réponse, mais j’avais besoin de me raccrocher à un espoir, si peu tangible soit-il.
    Si un tel moyen existe, nul ne l’a jamais trouvé.
    - Et pourquoi me dites-vous tout cela ?
    Je fus moi-même un explorateur, Calliope, berné par le Château en croyant gagner le courage. Prends ta revanche en trouvant un remède, jeune fille, et venge-nous tous.
    - Quoi ?! Attendez ! Je n’ai pas les épaules pour… Je n’y parviendrais pas !
    Je voyais devant moi la silhouette se dissoudre dans l’air. Je criais encore une fois.
    – Pitié ! Je ne veux pas mourir !
    L’entité avait entièrement disparu. Je retins à grand-peine mes larmes.
    Bonne chance, petite déesse.

    PIECE 7 : LA PIECE OU JE RECUS L’APPEL D’EMERENCE

    Je m’assis sur le sol, dos contre le mur.
    – Evite d’y penser… Me morigénais-je.
    Cette histoire de brume m’obsédait. Condamnée, Calliope…
    – Aventuriers, aventurières !
    – Qui parle ?
    Je m’étais relevé sous la force de la voix, tout abattement oublié.
    – Répondez-moi ! Il y a quelqu’un ?
    Toujours le silence. Oppressant. Et soudain la voix reprit son monologue.
    – Je suis de ces magiciennes qui connaissent le monde des rêves. Je suis de ces femmes qui combattent. Je suis comme vous. On dit souvent qu’il faut être solidaire, et je viens pour cela. Je suis Emerence, ex-dame du Château.
    Du Château ?! A l’entente de ce nom maudit, je crispais violemment les poings.
    – Comment pouvez-vous vous prétendre « comme nous » alors que vous êtes la femme de notre ennemi juré ?
    Sans tenir compte de ma question, Emerence continua :
    – Oui, du Château. Si vous étiez vivants, vous me foudroyez sur place. Mais vous êtes dans le monde des rêves, et c’est moi qui vous ai amenée ici. Vous êtes des aventuriers aguerris, combattants, sans faiblesses, vous combattez tous les jours notre monstre commun. Le Château. Oui, je dis le nôtre, car je suis avec vous. Le Château n’est pas qu’un ennemi. C’est la personne qui m’a pris mes fils, qui m’a fait mourir le cœur. Le Château n’est pour moi que haine, une haine brûlante. Si je le pouvais, je l’entrainerais avec moi dans ma mort, j’irai le combattre seule. Mais je ne peux. Je sais que parmi vous se cachent des magiciens, maitre d’armes, de magie noire, d’animaux fantastiques. Je suis coincée dans cette tourelle au 83ème étage, la porte auburn, tout au nord. Vous entendrez sans doute mes cris. Pourquoi vous appelle-je ? Parce que je veux combattre notre terreur, cette suprématie, ce monstre, cet homme redoutable, qui n’a causé que tort. J’ai besoin de vous, de votre cœur, de vos vies, de votre passion, de votre combat. Alors, venez, pour la pièce 1000, me rejoindre, je vous en supplie. Et que les lâches, s’ils ne viennent pas, regrettent amèrement leur refus.

    Je me réveillais en sursaut. Passant négligemment une main décharnée dans ma chevelure emmêlée, je murmurais :
    – Un rêve… Tout cela n’était qu’un rêve… Un rêve, certes, mais des plus réalistes.
    « Je suis de ces magiciennes qui connaissent le monde des rêves », avait-elle dit. Et si tout cela était vrai ? De tout mon cœur je le souhaitais. Se venger du Château…
    Une autre phrase, lancée par une entité de brume, me revint en mémoire : « Je fus moi-même un explorateur, Calliope, berné par le Château en croyant gagner le courage. Prends ta revanche en trouvant un remède, jeune fille, et venge-nous tous. »
    Venge-nous tous, Calliope.
    Venge-toi, Calliope.
    De quel droit aurais-je pu refuser ?

    PIECE 8 : LA PIECE DE L’ILLUSION
    Ma décision était prise ; j’aiderai cette Emérence. Il allait pour cela falloir que je trouve un moyen de descendre. Mais chaque chose en son temps.
    Je décidais donc de commencer par sortir de la pièce où j’avais reçu son appel.
    La nouvelle salle dans laquelle je pénétrais était atrocement sombre. Les rares carreaux étaient encrassés d’une sorte de suie noire qui ne laissait filtrer que peu de rayons de lumière. La seule véritable lueur, en vérité, provenait d’un feu de cheminée torride à l’autre bout de la pièce. Je m’en rapprochais, comme par réflexe, et tendis mes mains comme pour les réchauffer.
    – Bonjour, Calliope.
    Je pivotais brusquement. Une jeune femme au sourire absent se tenait devant moi. Je détaillais du regard sa silhouette un peu ronde, son visage doux et plein enfoui sous une masse coulante de mèches noires et ses grands yeux bruns piquetés de paillettes d’or.
    Je ne posais même pas la question rituelle « Mais qui êtes-vous ? ». Au premier coup d’œil, j’avais reconnu cette femme que je croyais ne jamais revoir. Je soufflais, émue :
    – Thalie…
    Ma propre sœur.
    – Qu’est-ce que tu fais là ? Demandais-je, suspicieuse.
    – Et toi, alors ?
    La question me surprit. Je répétais, interloquée :
    – Ce que je fais là ?
    – C’est bien ce que je te demande… Pourquoi es-tu partie ? N’étais-tu pas heureuse ?
    – Bien sûr que si ! M’insurgeais-je. Je voulais juste…
    Ma voix se brisa. Je chuchotais :
    – Me prouver que j’en étais capable.
    Le regard insidieux et glacial de Thalie me frappa au cœur. Je n’avais pas gardé, en venant dans ce Château, ce souvenir désagréable d’elle.
    – Oh, pauvre Callie…
    « Callie » ? C’était grotesque. Personne ne m’avait jamais appelé comme ça, et surtout pas elle. Si elle croyait m’attendrir par son ridicule surnom…
    Minute.
    – Tu n’es pas ma sœur !
    La révélation m’était venue naturellement. Jamais la prudente Thalie ne serait venue jusqu’ici. Jamais l’affectueuse Thalie n’aurait été aussi froide avec moi. Et plus que tout… Jamais elle ne m’aurait surnommé « Callie » !
    – Bien vu, petite exploratrice…
    Je réprimais un hoquet de terreur. Thalie semblait soudain fondre. Oui, vous avez bien lu. Comme la cire d’une bougie allumée, ses traits ruisselaient le long de son corps, s’étalant à ses pieds comme une flaque d’eau couleur de chair. Sous cette gangue de « cire » fondue, apparut un visage qui n’avait plus rien à voir avec celui de ma sœur, ni même avec celui d’un humain.
    – Je suis l’Illusionniste, aventurière, celui qui crée les mirages les plus convainquant pour ensuite vous plonger dans le désespoir !
    Il sortit de sa ceinture un long coutelas. Sans réfléchir, je bondis vers la porte.

    PIECE 9 : LES ESCALIERS
    …Et débouchais dans des escaliers si raides qu’ils semblaient avoir été conçus pour faire dégringoler les aventuriers inconscients qui s’y aventuraient.
    J’entendais derrière moi les pas rapides de l’Illusionniste qui m’avait suivi. Je tentais une brusque accélération pour le semer, mais il ne semblait pas décider à me lâcher les basques.
    Je dus descendre vingt ou trente étages –sans exagérer !- avant de trouver une porte. Je me ruais dessus…

    PIECE 10 : LA PIECE VIDE
    J’arrivais dans une pièce dénuée de tout artifice. Je me retournais, dos au mur, et me retrouvais face à l’Illusionniste qui me suivait de près. Ses pas claquaient plus lourdement sur le sol, signe d’un début de fatigue, mais il n’en restait pas moins horriblement effrayant.
    – Tu as fini par arrêter de cavaler, couarde…
    Instinctivement, je plaçais ma main gauche devant mon visage, en guise de protection. J’avais conscience d’être ridicule, certes, mais je ne voyais pas comment venir à bout de l’Illusionniste.
    J’ai bien entendu ?! Tu ne vois pas comment en venir à bout ?
    Je sursautais en reconnaissant la voix. La silhouette de brume ! Comment était-ce possible ?
    Je fais à présent partie intégrante de toi, Calliope…
    Ah. Merveilleux. Et savait-elle comment venir à bout de l’Illusionniste ? Aussitôt cette pensée formulée, la réponse me parvint en ces termes :
    Pauvre fille ! Es-tu donc obtuse au point de ne plus te rappeler la force que je t’ai offerte ?
    - Ça me revient, maintenant… Balbutiai-je soudainement.
    Et ça s’activait comment, cette force ?
    Elle ne s’active pas, idiote. Elle fait partie de toi, elle comme moi.
    Pendant que je me posais cette flopée de question, mon belligérant, lui avait décidé de passer à l’attaque. Trop concentrée dans mes sombres élucubrations, je ne le vis pas prendre son élan…
    Mais je me sentis toutefois violemment projetée contre le mur. Je sentis l’os mon bras, coincé entre mon corps et la cloison, se rompre brusquement.
    Agenouillée au sol, je pressais contre moi mon bras invalide, une sourde envie de pleurer m’étreignant la poitrine.
    Mais pour la première fois, je ne laissais pas les sanglots rouler le long de mes joues. Je relevais la tête, les lèvres serrées en un rictus sévère et mon regard plus froid que celui d’un cobra. Je lâchais mon bras cassé et essuyais le sang qui perlait d’une ancienne blessure à la joue qui s’était rouverte sous le choc. Je vis l’Illusionniste reculer, la peur se lisant sur son visage. Je soufflais :
    – Si j’étais toi, je n’aurais pas fait ça…
    La terreur suintait de tous les pores de sa peau. Je ne réalisais même pas que c’était moi qui lui provoquais cet effroi. Il n’osait plus bouger d’un doigt, et seul son regard restait braqué sur moi.
    Je me relevais. Il n’eut pas le temps de faire un geste avant que je bondisse et que je lui enfonce mon coude valide dans l’estomac. Il tomba à genoux en hurlant. Je me penchais vers lui et parachevais l’ouvrage en lui décochant mon poing dans la gorge.
    Il s’effondra sur le sol et je reculais, effarée, en contemplant mon œuvre. Je balayais du revers de la main une mèche de cheveux trempée de sueur qui me barrait la vue.
    Qu’avais-je fait ?
    Je tournais les talons et courus hors de la pièce.

    PIECE 11 : LA PIECE POUSSIEREUSE
    Je claquai la porte derrière moi et m’effondrai au centre de la pièce, maintenant mon bras blessé contre ma poitrine.
    Ne t’inquiète pas, ça guérit vite.
    Je ne pris même pas la peine de répondre. Tout ce que je voulais, c’était que cette maudite voix se taise enfin.
    Ingrate.
    Je voudrais monter le volume du silence, mais ce n’est pas possible. Je suis condamnée à subir les jérémiades de l’entité de brume. Jusqu’au bout.
    Je m’assénai une gifle mentale. Avait-on idée de céder à l’abattement ! Il n’y a, dans ce Château, pas de place pour le découragement. Et ce n’est pas en restant prostrée que je trouverais comment me débarrasser de cette brume qui m’avait contaminée. Je persistais à croire qu’il existait une solution, un remède, que je ne pouvais pas ainsi devenir une créature du Château.
    Je me relevai, plus décidée que jamais, et entreprit d’explorer la pièce. Celle-ci était, comme la précédente, peu lumineuse. Je butai du pied contre un meuble. Je passai mon doigt sur sa surface, puis l’approchai de mon visage ; il était couvert d’une épaisse couche de poussière.
    – Ben dis donc, ça fait longtemps que personne n’a fait le ménage, ici…
    Quelle remarque pertinente !
    J’ignorai la réflexion sarcastique de mon compagnon invisible et tentai de me diriger vers le mur. Il fallait que je trouve la porte pour ressortir.
    Je me raidis soudainement, paniquée par une lumière crue qui avait soudain surgi du plafonnier. Apeurée, je levais les yeux vers le plafond.
    – De… L’électricité ?! Pourquoi ?
    Je restais un moment silencieuse, comme si j’espérais sincèrement que quelqu’un allait me répondre. Lorsque je fus enfin certaine que personne ne me donnerait l’explication à ce phénomène, j’observais plus en détail la pièce. Quelques meubles vétustes, dont on n’apercevait plus ni la couleur, ni la matière, masquées par de la poussière épaisse, aussi noire que de la cendre. Des fils soyeux de toiles d’araignée tendus entre les murs et le mobilier. Des fenêtres aux rideaux noirs de crasse et tirés.
    – On a déjà fait plus accueillant, commentai-je en dépoussiérant du bout des doigts un guéridon.
    Ma main, lorsque je la retirais, était assombrie par la matière qui la recouvrait. Je la secouai pour l’en ôter, mais l’extrémité de mes doigts resta voilée de gris. Agacée, je l’essuyai contre mon péplos, le noircissant encore un peu plus. Je relevai mon bras devant mon visage.
    – Mais pourquoi cette fichue poussière ne s’enlève-t-elle pas ?
    Parce que ce n’est pas de la poussière. Tu ne l’as pas remarqué, mais depuis que tu as quitté la dernière salle, tu as cette marque, Calliope. Il s’agit de…
    Je fermai les yeux. J’avais compris, avant même que mon coéquipier involontaire ne finisse sa phrase. Je le laissai tout de même achever.
    C’est le début de ta contamination, Calliope.
    - Génial… Rétorquai-je sarcastiquement pour éviter de m’effondrer purement et simplement. Résumons. Je n’ai aucune idée de comment enrayer ce phénomène. Je suis condamnée à devenir une créature du Château. Et tu tiens absolument à ce que je vous venge mais tu ne fais rien, ou presque, pour m’aider.
    C’est ça. Enfin… Sauf le dernier point, qui me chiffonne un peu.
    - Oh, ne soit donc pas susceptible ! Je compte justement résoudre ceci, et pas plus tard que tout de suite.
    Quoi ?!
    - Ne t’inquiète pas. Réponds juste à mes questions, murmurai-je froidement.
    Calliope ! Tu es effrayante, arrête !
    - Parce que je suis sérieuse et posée, pour une fois ?
    Euh… Oui.
    – Dis-moi pourquoi ce n’est que maintenant, et pas avant, que cette « contamination », comme tu dis, a commencé ?
    Je suis désolé ! C’est ma faute !
    Je me raidis violemment.
    – Comment ça, ta faute ?
    Je ne voulais pas, je te jure ! Seulement… Quand je t’ai dit d’utiliser ta force face à l’Illusionniste…
    - Je t’écoute.
    Chaque fois que tu utilises la force que je t’ai offerte, l’infection progresse.
    Merveilleux. La seule et unique arme dont je sais me servir (si on excepte ma dague, avec laquelle je sais aussi bien combattre que si je me trouvais en possession d’une râpe à fromage) me condamne si je l’utilise.
    – Dis-moi à présent pourquoi tu me parles et me conseilles alors que tu es censé être une créature du Château.
    Calliope… Qui t’as dit que ma transformation était achevée ? La contagion se poursuit, encore et toujours.

    PIECE 12 : LE COULOIR
    La porte devant laquelle je me trouvais à présent était faite d’un verre étrange, à l’apparence soyeuse. Plus saugrenu encore, la matière semblait presque se mouvoir, produire de fines vaguelettes à la surface puis s’aplanir, créant un mouvement continu, qui donnait de loin une impression d’uniformité.
    Bon. Assez de passivité. Je tendis ma main devant moi pour pousser la porte et l’ouvrir –étant donné qu’elle n’avait pas de poignée.
    Calliope, ne fais pas…
    Trop tard. Je passais à travers la porte et dégringolais lourdement sur le sol pentu.
    C’était un rideau d’eau, pas une porte.
    - J’avais remarqué, persiflai-je dans un éternuement.
    Je secouais ma chevelure trempée en pestant contre l’architecte facétieux qui avait eu l’idée stupide d’ériger un mur aqueux –et délicieusement gelé, de plus. Je secouai machinalement mes doigts gourds et me relevai.
    J’avais glissé sur deux ou trois mètres de raide dévers durant ma chute ; juste devant moi, cinq portes excessivement hautes me surplombaient.
    Cinq. Ce qui implique de faire un choix. Enfin, si tu veux continuer ta visite du Château.
    - J’aurais pas deviné seule, soufflai-je.
    Je soupirai.
    – La porte du milieu.
    Si ça peut te faire plaisir…
    Je poussai la porte –de bois, cette fois- et pénétrai dans la prochaine pièce.

    PIECE 13 : LA PIECE UN PEU TROP PEUPLEE A MON GOUT
    Un vide gris, cotonneux et oppressant m’accueillit à mon entrée. Un silence tout aussi désagréable m’agressa également… Ainsi qu’une totale absence d’odeur, plus flippante que n’importe quel parfum du genre sang (ou tout autre senteur terrifiante mais naturellement et aisément trouvable dans ce Château de fous) qui me prit à la gorge.
    Je ne tombais pas en voulant avancer, cependant j’avais l’impression plutôt pénible de ne marcher sur… Rien. Mes pieds ne frôlaient aucun sol. Je… Lévitais.
    Ce qui, pour un esprit cartésien comme le mien, était difficilement concevable.
    Un esprit cartésien ? Ah, ah. Bonne blague, Calliope.
    Je m’arrêtais brusquement dans mon « flottement » et maugréai, renfrognée et vexée :
    – C’était pas une blague.
    Non, sérieux ?! Cartésienne… Dixit la gamine…
    – Jeune femme ! Rectifiai-je sèchement.
    Gamine ! On aura tout entendu ! Moi, du haut de mes deux mille printemps, me faire traiter de « gamine » par cette vulgaire silhouette de brume ! Je m’enfermais dans un silence de bon aloi. Dont mon invisible compagnon ne parut pas s’offenser, pour mon plus grand mécontentement.
    La gamine qui explore le Château des Cent-Mille Pièces, ce qui en soi est déjà loin d’être normal et logique, et qui y a vécu des dizaines d’aventures toutes plus rocambolesques et abracadabrantes les unes que… Eh ! Tu as entendu ça ?!
    Je ne répondis pas. Evidemment que j’avais entendu. Je tendis juste l’oreille. Et à mon grand dam, le son se réitéra.
    Un long son continu, un frappement sur un plancher inconsistant, comme des dizaines de sabots d’équidés frappant la terre en soulevant des nuages de poussières. Des pas.
    Derrière moi. Tout près. Trop près.
    Hum… Je crois qu’on est en infériorité numérique.

    – Oh, tais-toi, je t’en supplie !
    Très heureux de t’avoir connu.

    – Espèce d’alarmiste !
    Trêve de plaisanteries, si j’étais toi je me retournerais quand même…
    La respiration rendue sifflante par l’appréhension (oui, oui, je sais, toujours aussi couarde. Et je ne crois pas que cela soit près de s’arranger), je me retournais lentement. Ce que je vis me stupéfia.
    J’aurais aussi pu dire me glaça. Ç’eut été fort juste, timorée comme je suis (oui, je me répète, certes). Mais il y avait quelque chose de plus intrigant, de plus surprenant que de terrifiant dans le spectacle qui s’étalait devant mes yeux.
    Cette pièce était peuplée.
    La cinquantaine d’êtres grotesques qui se tenait devant moi, presque au garde-à-vous, était pourvue d‘un visage osseux et angulaire, sur lequel la peau était si tirée qu’on eut dit qu’on avait tenté d’en utiliser le moins possible pour concevoir ces… Bestioles. Ils se tenaient debout comme vous ou moi (à moi que vous ne soyez point humain, et dans ce cas précis je m’excuse, car vous offensez n’était pas mon objectif premier –ni mon second d’ailleurs –ni… Euhm, passons), mais s’apparentaient plus à des carnassiers du genre hyène ou lion. D’ailleurs, quatre tranchantes rangées de dents étincelantes (étrangement toutes des canines) étaient solidement plantées dans leurs bouches béantes à la mâchoire inférieure si outrageusement tombante qu’elle en semblait déboîtée. Leurs yeux, petits et enfoncés dans leurs orbites, brillaient d’un éclat qui à première vue pouvait paraître madré, mais qui était en fait plus cruel qu’autre chose. Et je ne parle pas de leurs doigts… Longs, crochus, griffus, ornés d’ongles recourbés et enduis d’une matière grisâtre qui devait s’apparenter à de la poussière. Leurs peaux étaient quant à elles entièrement glabres, et leurs crânes dépourvus de tout ce qui pouvait se rapporter à une chevelure digne de ce nom.
    Charmant.
    – Bien résumé, soufflai-je.
    La foule de créatures se fendit soudain en son milieu. Un autre être étrange, peut-être un peu plus grand que les autres et étrangement attifé, s’avança d’un pas qui se voulait martial.
    Etrangement attifé… Euphémisme ! Ses habits disparates semblaient avoir été volé à plusieurs personnes, issus d’époques et de lieux différents. Une chemise de dandy, une cravate très patron moderne, un chapeau typiquement années folles (et féminin de surcroît)… Il voulait sans doute paraître distingué, mais le pauvre, c’était complètement raté.
    Il semblait être leur chef. D’ailleurs, il confirma :
    – Bonjour, gente demoiselle. Excusez la frayeur qu’ont pu vous causer mes subordonnés. Ils sont, je crains…
    Il se rapprocha de moi. Je tentais de reculer, dégoûtée. Il ne sembla pas le remarquer.
    – Moins civilisés que je ne le suis.

    Remballe immédiatement tes remarques sur son attitude « civilisée », tu risques encore de faire une gaffe… Et de te tuer en conséquence.

    – Merci de ton réconfort, sifflai-je entre mes dents.
    – Vous dites ?
    Je lui jetai un regard effaré et avalai violemment ma salive.
    Faudrait peut-être que tu lui répondes, nan ?
    Je soupirai et levai ma main dans un signe pacifique.
    – Salut ! Dis-je avec un grand sourire forcé.
    Ils me jetèrent un drôle de regard. Apparemment, ce n’était pas la réponse attendue.
    – Quel est donc ce langage alambiqué ?
    Elle a juste dit « salut », crétin.
    J’agitai les doigts en signe d’apaisement. Je murmurai dans un souffle :
    – Laisse tomber.
    Je me demandais un instant si je parlais à invisible compagnon ou à l’étrange chef des créatures. Un instant seulement.
    Avant que le leader des hominidés ne leur ordonne de m’attaquer.
    Je dois avouer que sur le moment, je n’ai pas trop compris le pourquoi du comment. J’avais sûrement enfreint une de leurs règles sacro-saintes et incompréhensibles. En fait, je ne m’en suis pas trop souciée, je crois.
    J’ai foncé dans la masse.
    Je me demande, après coup, si le pouvoir de force que m’a procuré la silhouette ne m’a pas rendue belliqueuse. En tout cas, à ce moment précis, j’étais ravie qu’il y ait enfin un peu d’action.
    Je me jetai dans la mêlée. Bien sûr, cinquante contre une, c’était un peu inégal. Mais tellement de monde se battait qu’on n’y voyait rien, et les créatures ont dû se prendre plus de coups que moi-même. Et question coups, je n’étais pas en reste. Je les renvoyais un peu au hasard, certes, mais tellement puissamment qu’ils blessaient toujours. Ils faisaient mouche à chaque fois.
    J’aurais pu continuer comme ça longtemps. Si un coup traîtreusement porté par derrière n’avait pas immédiatement fait cesser ma participation immanente aux choses de ce monde.

    PIECE 14 : LA PIECE QUE J’ARPENTAIS AVEC UN SOLIDE MAL DE CRANE

    (Mal de crâne dû à un mauvais coup sur la tête encaissé par Calliope dans la pièce précédente, je précise…)
    J’ouvris péniblement les paupières. Mes yeux me semblaient poisseux, mes membres flasques, ma gorge sèche, et mon crâne… Pris d’une telle migraine que j’en avais du mal à réfléchir correctement.
    J’essayais de me redresser. La tentative se solda par un échec : je retombais lamentablement sur le sol, les oreilles bourdonnantes et la peau brûlante.
    Je t’ai connue plus combative !
    - Oh… Tais-toi… Parvins-je à mollement supplier. C’est… Pas le mo… Ment…
    Allez, tu t’es juste pris un bon coup dans la nuque… N’empêche, ils t’ont filée une sacrée raclée !
    - Ils étaient… Cinquante et… Moi… Seule…
    Oh… Mademoiselle se trouve des excuses ! Non mais sérieusement ! Assume, un peu ! T’avais tout ce qu’il fallait pour les battre, Calliope. Sauf peut-être le courage ? La volonté ?
    - Dès que… Je serai sur… Pieds, menaçais-je, je te flanquerais… Une… Sacrée raclée !
    Je crois que tu vas avoir un peu de mal, ma belle. Je fais « partie intégrante de toi », comme dirait l’autre !
    Je n’eus pas le temps de lui lancer une répartie cinglante. Un seau d’eau glaciale renversé sur mon visage me coupa la parole. Je réussis à me relever et criais presque, les yeux exorbités :
    – Non mais ça ne va pas ?!
    Je crois qu’ils ont trouvé le bon moyen de te réveiller. T’es à nouveau d’attaque, Calliope !
    – Imbécile ! Persiflais-je avant de lever les yeux vers ceux qui m’avaient arrosée.
    Je retins un soupir.
    Oh non, les casse-pieds sont de retour !
    Cette fois, je ne pouvais que donner raison à mon invisible compagnon. De vrais pots de colle.
    C’étaient quelques une des créatures de la pièce précédente. Celles qui m’avaient si gentiment assommée d’un violent coup par derrière. Celles qui ressemblaient vaguement à des hominidés mutants ayant pour principal but de me dévorer membre par membre. Celles dont le chef, attifé comme l’as de pique, m’avait paru aussi civilisé qu’un anaconda.
    Autant dire que j’étais ravie de les revoir.
    Ces imbéciles ! Ce sont eux qui t’ont déplacée de pièce, d’ailleurs.
    Déplacée de pièce ? Je jetais un regard alentour. La nouvelle salle était plus grande, entièrement noire, pourvue de dizaines de colonnes immensément hautes. Mais baste ! Assez d’inaction.
    Il me fallait trouver un moyen de leur fausser compagnie (bon, jusqu’à là, ils restaient plutôt immobiles, donc ça allait…). Tout en me faisant cette réflexion, je me frictionnais machinalement le bras. Je fronçais soudainement les sourcils. La texture de mon bras ne ressemblait pas à celle de la peau, elle était plus… Froide, dure, moins malléable. Je baissais les yeux et retint à grand-peine un cri de stupeur.
    Avant cette pièce, seule l’extrémité de mes doigts était grise. A présent, la totalité de mon bras gauche, ainsi que mon bras droit lui aussi étaient teinté de sombre. Je laissais mes doigts courir le long de mon avant-bras gauche, sentant ainsi sa texture de grès, puis remonter jusqu’au coude, où je me rendis compte que la contamination avait ressoudé ma fracture causée par l’Illusionniste, puis finis par effleurer mon cou, qui, je le compris rapidement, avait aussi été contaminé.
    – Non, non, non, non, non ! Pas ça, encore ! Hurlais-je, presque désespérée.
    Je t’avais dit de ne pas trop utiliser ta force.
    - Mais ferme-là ! Tais-toi deux minutes ! Je vais mourir. MOURIR ! Ça ne te touche pas, toi, évidemment, n’est-ce pas ?
    Devenir une créature du Château, pas mourir…
    - Mais ça change quoi sérieux ?! C’est du pareil au même ! Je vais perdre ma liberté de mouvements, de penser, et toi tu t’en fiches ! Tu veux que je venge ta contamination mais tu te fous de moi, au fond de toi. Tu n’es qu’un égoïste !
    Pardonne-moi, Calliope ! Tu as raison… Je suis affreusement désolé. Vraiment.
    Je m’arrêtais brusquement de vitupérer, soufflée qu’il se soit aussi rapidement excusé. Il y avait une telle sincérité dans ses mots que je perdis à l’instant l’envie et la force de faire des reproches à mon acolyte.
    – C’est bon, dis-je mollement, c’est pas si grave… J’ai tendance à m’emporter… Je… Je ne…
    Je m’embrouillais dans ma réponse. Il dut le remarquer, car il s’exclama :
    Allez, c’est oublié ! Revenons à nos moutons… A savoir, trouver un moyen de filer à l’anglaise !
    Je relevais le front. Les créatures (qui devaient, d’ailleurs, être une douzaine à tout casser) me jetèrent un regard interloqué. L’une d’elle émit un son guttural qui devait, chez elle, tenir lieu de parole, et aussitôt, certaines m’agrippèrent aux épaules ou aux bras. Visiblement, ces bestioles avaient dans l’idée de me mener quelque part. Mais où ? No sé.
    T’attends quoi pour te défendre ?
    - C’est une stratégie complexe que j’ai mise en place, sifflais-je entre mes dents.
    En fait, tu ne veux pas te battre car tu as peur que la contamination progresse plus encore, c’est ça ?
    - Oui, tu as plutôt bien cerné l’idée.
    Très complexe, comme stratégie.
    Je ne répondis pas à sa remarque sarcastique et demandais plutôt, à voix haute :
    – Où m’emmenez-vous ?
    Ils me jetèrent un regard furieux. Ça commençait bien…
    – Vous parlez ma langue, au fait ?
    Vu le grognement peu amène qu’ils m’adressèrent, je pense qu’ils me comprenaient moyennement. Nous fîmes donc le reste du chemin en silence (et vu le temps que nous mîmes, je gage que cette pièce était bien plus grande que je ne le pensais).
    Soudain, ils s’arrêtèrent et me lâchèrent violemment –je dis violemment car on était plus dans l’optique, je pense, de me faire tomber en me brisant tous les os que simplement de me « déposer » au sol.
    – Quels idiots ! Pestais-je en me relevant.
    J’époussetais mon péplos crasseux (celui-là, le pauvre, je parie qu’il ne sera plus jamais blanc), en me demandant pourquoi diable ils m’avaient amenée ici précisément.
    Je ne tardais pas à obtenir ma réponse.
    – Je m’attendais à plus de panache !
    La voix qui avait prononcé ces mots, étrangement rauque et haut perchée à la fois, me déplut immédiatement. Je levais le regard pour voir de qui ils émanaient. Le moins que l’on puisse dire est que je fus surprise !
    J’avais devant moi une version féminine des bestioles hideuses. Le même faciès horrifiant, mais surmonté d’une tignasse rêche, épaisse, d’un blond poussiéreux.
    Etrangement, mon acolyte ne fit aucun commentaire.
    – Pour une fois que vous parvenez à attraper une exploratrice, il faut qu’elle soit dans un état déplorable !
    Piquée au vif, je relevais le menton et persiflais :
    – Il faut dire que vos amis ne m’ont pas arrangée !
    Elle me jeta un regard glacial qui me fit frissonner. Je perdis à l’instant toute envie de répliquer.
    – Il vous faudra l’arranger.
    Je baissais la tête, comme une gamine prise en faute, et me demandait mentalement qui était cette femme –pardon, cette créature- qui parvenait à tant m’intimider que je n’en prononçais plus un mot.
    – Les six derniers explorateurs nous ont fort déçus. Leurs prestations, furent, disons-le, proprement désastreuse. Mais je suis certaine que vous y parviendrez bien mieux qu’eux, mademoiselle.
    Elle se tourna vers ses congénères (ceux qui m’avaient trainée à travers la salle il y a deux minutes, rappelez-vous !) et siffla de sa voix désagréable :
    – Apportez-lui quelque chose à se mettre, enfin ! Elle ne va pas rester ainsi !
    Elle pivota encore, vers moi cette fois.
    – Vous êtes notre dernier espoir, mademoiselle…
    – Calliope. Ravie de l’apprendre, marmonnais-je.
    Quelques minutes plus tard, les créatures revenaient avec une tenue qui, je le songeais en l’enfilant, ne me semblait guère plus présentable que mon péplos horriblement déchiré. J’étais à présent vêtue d’un T-Shirt d’un vert sombre, d’un pantalon brun et large s’arrêtant à la mi-jambe et d’une paire de ballerines reprenant les couleurs de mes habits. Très gai, soit dit en passant. Bon, soyons positive, c’est toujours mieux que mon péplos absolument pas pratique. Je glissais ma dague à mon côté.
    – Vous êtes prête ? Il va falloir y aller.
    Je soupirais puis acquiesçait.
    Qu’est-ce qu’ils te veulent, à ton avis ?
    - Si je savais ça, je serais devin.
    Les bestioles voulurent me tirer à nouveau sur le sol, mais j’y mis mon veto. Je peux marcher, tout de même !
    Nous cheminèrent ainsi pendant quelques minutes, jusqu’à ce que nous arrivions… En face du chef des créatures, toujours vêtu d’habits disparates et colorés. Je soupirais à nouveau.
    – Que me voulez-vous encore ?!
    Je le remarquais à cet instant, les créatures étaient à présent au complet. Si je devais m’enfuir, ça risquait ENCORE de mal tourner…
    – Et pourquoi m’avez-vous assommée dans la pièce précédente ?
    – Vous n’auriez pas accepté de nous suivre, sinon.
    – Ah ça, je confirme ! Mais pourquoi vous suis-je si « indispensable », selon elle ? M’exclamai-je en montrant du pouce la créature féminine.
    – Savez-vous qui nous sommes, présomptueuse aventurière ?
    Je haussai les épaules.
    – Evidemment que non ! Comment pourrais-je ?
    Il ne tint pas compte de ma question. Il expliqua cérémonieusement :
    – Nous sommes des recruteurs.
    Des quoi ?!
    - Nous sommes chargé de trouver les aventuriers qui sont susceptibles de virer de bord… Et de se joindre au Château.
    Je pâlis et reculai instinctivement. Qu’est-ce que c’était encore que cette histoire ?
    – Tous les aventuriers que nous lui avons présentés jusqu’à présent l’ont fort déçu. Pas assez courageux, pas assez déterminés… La liste de leurs défauts est longue. Le Château, dit-on, nous considéreraient comme la « tribu » de recruteurs les moins efficaces… Ce qui, pour moi, est un véritable crève-cœur. Nous comptons sur vous pour redorer notre blason. Nous avons une mission délicate pour vous, confiée par le Château même.
    Je ne pris pas la peine de répondre et lui lançai mon regard le plus méprisant. Où voulait-il en venir ?
    – Vous devriez vous introduire dans un groupe d’aventuriers influents, en vous faisant passer pour l’un des leurs. Mais évidemment, vous seriez à notre solde ! Vous nous informeriez de leurs plans, leurs idées, leurs découvertes, régulièrement. Pour rejoindre un groupe, rien de plus simple. (Il se tourna vers le fond de la salle et désigna un drôle d’appareil) Nous sommes en possession de cette machine, qui vous permettra de vous téléporter où vous le souhaitez.
    J’éclatai d’un rire nerveux. Où je voulais ? Cela me semblait évident. J’irais au rendez-vous fixé par Emérence.
    – Si vous réussissez à accomplir cette tâche avec brio, vous pourriez vite être amenée à combattre aux côtés mêmes du Château ! Acceptez-vous donc cette mission ?
    Je réfléchis en vitesse. Si je disais oui, je pourrais utiliser le téléporteur sans risque. Seulement, passer pour une traîtresse, même par stratégie, ne me disait que très moyennement. Si je disais non, au contraire, il faudrait que je me batte pour parvenir à atteindre la machine, mais en revanche, je ne trahissais pas les explorateurs.
    Mon choix était vite fait.
    – Alors ?
    – Pas question.
    – Pardon ? Murmura-t-il, la mine déconfite.
    – Jamais je n’accepterai.
    – Vous allez le regretter.
    – Sûrement pas !
    – Tant pis pour vous…
    Il se tourna vers son « armée » et aboya un ordre dans leur langue guttural. Je n’attendais pas qu’ils attaquent pour m’élancer.
    Je bondis entre mes belligérants qui arrivaient par flots. Jusqu’à là, ils étaient assez désordonnés, donc cela allait.
    L’un parvint à m’agripper au bras. Je me retournai, lui assénai un violent uppercut dans la mâchoire, lui plantai mon genou dans l’estomac et réussis enfin à me dégager. Mais les autres en avaient profité pour se rapprocher de moi et me prendre et tenaille. Je n’avais plus le choix. Je sortis ma dague et me précipitai dans la masse, taillant à coup de lame les hominidés m’obstruant le passage. L’un tenta de me ceinturer par derrière. Il en fut quitte pour deux ou trois côtes brisées par le manche de mon poignard.
    J’arrivai enfin près du chef, essoufflée. Lui, évidemment, était en pleine forme, n’ayant pas combattu. Il se munit d’une épée que je n’avais pas vue, et s’élança dans une tentative de m’éborgner. Je parai (plutôt habilement, dois-je admettre) et bondis sur le côté pour ensuite éviter le coup de taille qu’il me lança. Prise d’une subite inspiration, je me baissai et tranchai brutalement sa cheville (qui, à mon grand étonnement, se laissa couper plutôt facilement). Je ne pus réprimer une grimace en sentant ma lame pénétrer sa peau, puis le sang gicler. Il s’écroula dans un hurlement de douleur, déséquilibré.
    Ç’avait été plutôt simplissime, en fait.
    Je parvins enfin mon but : leur drôle de machine de téléportation. Epuisée, je montai le plus rapidement possible à bord.
    Je paniquais. Il n’y avait pas de boutons, ni d’autres commandes du genre. Et les créatures se rapprochaient inexorablement.
    Je songeais, de toutes mes forces, à l’endroit où je voulais aller… Et je vis la pièce se « diluer » devant mes yeux ébahis. Le paysage fut remplacé par une haute porte, que je compris instinctivement être celle du cachot du 83ème étage.
    J’étais parvenue à mon but. Enfin.
    Emérence, nous voici !


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